Saint Joseph : inventaire d’une dévotion

Une réflexion de l'abbé Patrick Pégourier autour des sept dimanches de saint Joseph

Pendant près de deux mois, la coutume des « sept dimanches de saint Joseph » nous prépare à la solennité du 19 mars. Elle nous invite à combler l’écart entre, d’une part l’éminence de sa place dans l’Église et, d’autre part, l’apparence plutôt effacée de sa personnalité, afin d’en exprimer la richesse.

De multiples références le situent aux yeux d’un catholique : époux légal de la Vierge Marie, père nourricier de Jésus, chef de la Sainte Famille, patron de l’Église universelle ; de très nombreuses églises, institutions et communautés lui sont dédiées ; d’innombrables personnes, portent son nom : nom de baptême, nom de religion. Le 19 mars 1661, la France lui fut consacrée et il est célébré à deux reprises par le calendrier liturgique : pour la « saint Joseph » et la fête de Joseph artisan, le 1er mai. : c’est donc l’un des saints les plus « en vue » de l’univers.

Un saint à redécouvrir

Mais paradoxalement, il semble n’avoir que peu d’épaisseur existentielle : on ne sait presque rien de lui, en dehors de son ascendance qui remonte au roi David et de son métier de charpentier ; il n’a rien écrit ; il n’a rien dit qui nous ait été transmis ; les évangiles ne nous renseignent même pas sur son départ au ciel. En dépit de ses titres officiels, n’est-il pas au fond méconnu ? Une enfant se préparait à sa première communion. Sa mère l’emmène à l’église pour repérer les lieux. Où veux-tu la faire ? Réponse immédiate de la petite fille : « dans la chapelle de saint Joseph. Personne ne vient jamais le voir. ! Ça lui fera de la compagnie » !

Patriarche du silence et Lieu-tenant du Père

Le décalage entre sa stature réelle et le manque d’intérêt qui l’entoure tient au fait qu’il est aux antipodes de l’esprit du monde :

–         il est l’homme du silence alors que nous vivons dans une ambiance bruyante qui valorise les effets d’annonce et stimule l’agitation intérieure : lui préfère écouter plutôt que bavarder car il partage la vie du Verbe incarné et de la Vierge immaculée. Son silence n’est pas synonyme de vacuité ; il est substantiel : un silence pour apprendre car qui sait se taire peut écouter, et qui sait écouter peut apprendre… à vivre en profondeur, à donner à son existence un sens rédempteur : le sens divin de l’Incarnation. Aussi sa réserve manifeste-t-elle qu’il a choisi la « meilleure part », un peu comme Marie de Béthanie ;

–         alors que nous sommes immergés dans une culture de l’apparence et dans un contexte d’exaltation des biens terrestres, Joseph est un homme détaché de son confort, de sa tranquillité, et même de sa capacité à maîtriser les événements. Les circonstances de la Providence l’ont plus d’une fois pris à contrepied mais toujours, il a su « prendre sur lui » et réagir dans la bonne humeur de façon surnaturelle : il est à la disposition du Père Éternel et de sa Providence. Dans cette optique, monsieur Olier le nommait « sacrement du Père Éternel » : celui qui exprime sensiblement les perfections de Dieu le Père, lui donne un visage terrestre et constitue pour son Fils unique comme une compensation dans le temps de son absence, ainsi qu’une sorte de soulagement durant les années de son pèlerinage ;

–         il est chaste et pur, alors que nous évoluons dans un environnement médiatique marqué par l’érotisation et la sensualité ;

–         c’est le modèle de l’homme fidèle, quand l’homme moderne répugne à tout engagement dans la durée.

Maître de vie intérieure

Francisco Herrera, saint Joseph et l'Enfant

Paul Claudel remarquait : Joseph fait sourire les « hommes supérieurs » ; mais, ajoutait-il avec humour, « les hommes supérieurs savent-ils prier » ? Pour comprendre le saint patriarche et partager son intimité, il faut entrer comme lui dans des chemins de vie intérieure : prendre le temps chaque jour d’écouter le Seigneur dans l’oraison, redécouvrir le sens du recueillement car les Mystères du Christ sont liés au silence ; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure : « Verbo crescente, verba deficiunt »[1]. Lors de la première session du Concile Vatican II, un évêque se plaignit du fait que saint Joseph était trop oublié dans l’enseignement de l’Église ; ses paroles furent accueillies dans un silence poli mais le lendemain, 8 décembre 1962, le pape Jean XXIII fit inscrire son nom au canon de la messe. L’autorité de Pierre confirmait ses frères dans la foi car Joseph nous apprend à connaître Jésus, à vivre avec lui, et il nous fait découvrir que nous appartenons à la famille de Dieu [2]. Dans la préparation de sa fête, confions-nous à lui pour lui demander : encourage-nous à préférer l’action selon Dieu à l’agitation, l’adoration à la possession et le silence au bavardage !

[1]« Quand le Verbe parait, les paroles se taisent » (saint Augustin, Sermon 288, 5) - Exhortation apostolique Verbum Domini, 66.

[2]Saint Josémaria Escriva, Quand le Christ passe, 39.