À la mémoire d’Alvaro Domecq

Le 6 octobre 2005 l’éleveur de taureaux Alvaro Domecq est mort à Jérez (Espagne). Il avait 88 ans, il était surnuméraire de l’Opus Dei, et avait personnellement connu saint Josémaria.

Le monde de la tauromachie vient de subir une grande perte, il apprend le décès d’Alvaro Domecq, propriétaire de l’un des plus grands élevages de taureaux d’Espagne. Ceux qui l’ont connu parlent de sa sympathie, de sa générosité et de sa foi profonde en Dieu.

Dans les années soixante-dix, Alvaro Domecq a personnellement connu le fondateur de l’Opus Dei. Il se souviendra toujours de la grande influence que celui-ci eut sur lui. Voici l’interview où, il y a quelques années, il parlait de son amitié avec saint Josémaria et nous dit comment il connut l’Opus Dei.

Interview de Manuel Sanchez Hurtado, publiée dans ABC Madrid 26 juin 1988 et reprise dans le livre de Rafael Serrano « Así le vieron » (Éditions Rialp). Don Alvaro, quand avez-vous rencontré mgr Escriva de Balaguer ?

Je ne suis pas doué pour les dates et je ne me souviens pas exactement du jour précis où je l’ai vu pour la première fois. Je crois que c'était à Pamplune, l’automne 1967. Lors d’une Assemblée d’Amis de l’Université de Navarre. J’ai assisté à la messe qu’il a dite à cette occasion en plein air, sur le campus de l’Université de Navarre. À la fin de la cérémonie, je suis allé le saluer et, à mon grand étonnement, il m’a appelé par mon prénom. Il m’a fait un signe de croix sur le front et m’a dit : « Je suis ton supporter ». Je suis timide, j’ai donc été surpris, il me connaissait sans m’avoir jamais rencontré.

Les manifestations d’affection qu’il a eues à mon égard m’ont profondément touché. Il m’a encouragé à travailler dans mon domaine en ajoutant « mais fais-le avec un grand amour de Dieu ».

Lors de ces journées, je lui ai présenté les toreros qui participaient à un festival organisé à cette occasion. Il les a tous touchés en évoquant leurs circonstances personnelles. À la fin de cette rencontre, Louis Miguel Dominguin, qui affichait sa non croyance, me dit en aparté : « Il va bien falloir que je devienne un fan de ton fichu curé. »

Je me souviens de son passage à Jerez de la Frontera en 1972. Il eut la merveilleuse gentillesse de nous inviter, ma femme et moi, à déjeuner. Il voulait nous remercier pour le peu que j’avais fait lors de la mise en route de « Pozalbero », un centre de retraites et rencontres, dans la banlieue de Jerez et qui a vu passer des milliers d’andalous. En effet, le fondateur de l’Opus Dei était très reconnaissant, il savait encourager nos petits efforts pour que nous en fassions d’autres et nous dépassions toujours.

C’est fabuleux : trouver des gens qui vous encouragent, qui vous demandent des choses à votre portée, simplement, sans en avoir l’air, en vous encourageant. Et le travail qu’ils vous demandent se fait, sans trop de peine, avec joie. Dans mon contact avec l’Œuvre tout au long de ces années, j’ai toujours été impressionné par l’encouragement reçu à faire les choses courantes avec amour de Dieu. C’est ce que j’ai donc vu chez le fondateur de l’Opus Dei. Il oeuvrait dans ce sens auprès de tout type de gens, croyants ou non croyants, des gens de tous les milieux.

Quant à moi, j’ai mis en route des cours de formation spirituelles pour des toreros, des poètes et des écrivains. J’ai remarqué combien ils tenaient à réserver deux ou trois jours pour Dieu et pour les affaires de Dieu. Domingo Ortega, que Dieu ait son âme, me disait : « N’oublie pas de me prévenir pour tout ça ». Ils aimaient bien. Domingo aimait bien qu’on s’occupe de lui dans le domaine spirituel. Cela montre bien pourquoi mgr Escriva de Balaguer y tenait tellement : pour que la vie courante soit réelle, il faut qu’elle ait un sens. C’est ce qu’il m’a appris et qu’il me transmettait par son regard, lorsqu’il me rencontrait ou lorsqu’il me serrait fort dans ses bras, comme il savait le faire.

Qu’avez-vous retenu de ce premier contact ?

La confiance et la joie qu’il communiquait, cette façon de vous dire de vous efforcer sans vous le dire, en vous montrant la voie du don de vous-même. Il vous donnait un coup de pouce, doucement mais efficacement, pour vous encourager à tout faire par amour de Dieu et pour insuffler à votre vie courante une spiritualité importante. En effet, c’est fabuleux de savoir que le travail peut être sanctifié. Cela crée une satisfaction chez le travailleur qui est décisive pour lui, fondamentale.

Il savait que les taureaux étaient mon affaire. Je ne sais pas s’il était un ‘aficionado’ ou pas, mais il en avait tout l’air. Il me disait : « Poursuis toujours ta route et fais toujours de ton mieux. » Il ne faisait pas abstractions de vos penchants naturels, mais il vous aidait à leur donner du sens, à mettre de l’amour et du dévouement à ce que vous faites, en sachant que tout a un grand prix. C’est satisfaisant de savoir que ce que vous faites à un grand prix.

Comment un éleveur de taureaux peut-il devenir saint dans son travail ?

Il faut avant tout qu’il tâche d’être un bon éleveur. Les éleveurs nous ne sommes pas bien jaugés, à notre mesure. L’animal que nous réussissons, le taureau que les aficionados demandent aujourd’hui, il faut beaucoup le travailler, savoir sélectionner des caractères qui ne sont pas visibles au public. Au début, je pensais que prendre en charge un élevage n’allait pas me demander beaucoup de temps. Or, dites-vous bien, qu’il faut étudier les qualités de plusieurs générations de taureaux pour arriver à en mesurer le caractère et savoir doser, en une juste mesure, la mansuétude et la bravoure.

L’éleveur español qui étudie son élevage peut produire un taureau apprécié non pas seulement par son allure physique mais aussi par le résultat final sur l’arène. Cela demande un effort. En même temps, et sous le même rapport, il faut faire tout cela par amour de Dieu, parce qu’on aime les taureaux, bien entendu, mais par amour de Dieu.

Quel était pour vous le trait le plus saillant de sa personnalité ?

Mgr Escriva débordait de vitalité. Je ne sais pas si la sainteté a une définition précise, mais moi je voyais que chez lui elle transparaissait dans ce souhait de communiquer l’amour de Dieu, l’amour du travail et le bonheur de rendre les autres heureux. De plus, pour le fondateur de l’Opus Dei, il n’y avait pas de limites : tous les jours il avait des idées nouvelles pour toucher le plus de gens possible et diffuser plus largement la doctrine de l’Église. C’était impressionnant. De fait, on est bluffé par la rapidité avec laquelle l’Opus Dei s’est répandu et établi parmi tant de gens de tous les milieux. J’ai beaucoup voyagé pour ma part et j’ai pu réaliser combien tout cela est édifiant.

Vous parliez tout à l’heure des toreros que vous avez toujours fréquentés. Comprennent-ils vraiment ce qu’est que sanctifier le travail ?

Bien sûr. Ils retrouvent dans tout cela ce qu’ils ressentent vraiment. L’homme a un penchant inné vers Dieu, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Ce qui est merveilleux chez mgr Escriva de Balaguer c’est qu’il vous apprend à entreprendre ce chemin.

Avant les gens croyaient que pour aller vers Dieu il suffisait d’aller à l’église, mais ils ne savaient pas qu’il est aussi au théâtre et à la corrida, que Dieu est bien partout, dans toutes les circonstances honnêtes. Les gens ne s’apercevaient pas de cette présence de Dieu près eux, ils ne savaient pas qu’ils pouvaient sanctifier toute leur vie, leur vie de loisirs, de relations sociales, d’amitié.

Je n’en veux pour preuve que l’accueil extraordinaire qu’on a réservé à ce message, en dépit de ceux qui ne le comprennent pas toujours parce qu’ils n’ont pas encore été capables de

franchir cap. S’ils le faisaient, ils s’en étonneraient aussi.

Il y en a qui disent qu’il faut un saint pour en supporter un autre, est-il aisé de vivre aux côtés du fondateur de l’Opus Dei ?

Près du fondateur de l’Opus Dei on se sentait protégé, dynamisé. À ses côtés, le cœur était remué et l’ancienne piété personnelle devenait plus humaine, plus savoureuse. Il faisait en sorte que vos faiblesses soient à l’honneur. On sentait que les défauts étaient gérables, on pouvait s’en débarrasser. Il vous en persuadait et vous pouviez saisir que les plus petites choses faites par amour, ont un grand prix. J’ai toujours pensé que Dieu est le meilleur payeur, tout ce que vous faites, aussi petit soit-il, Dieu sait le récompenser.

Ce sont ces conseils-là qu’il nous donnait, pleins d’amour et comme tout homme est né pour aimer, il était très facile de le comprendre.

Don Alvaro, que vous a apporté l’Opus Dei ?

Il m’a tout rendu facile. On dit bien que si vous êtes bien aidé vous pouvez faire avancer vos affaires. Et la grande affaire tient à lutter pour la sainteté, ne serait-ce qu’un petit peu, et je n’exagère pas. C’est la mission de l’Opus Dei auprès de tous ceux qui s’y frottent : donner à leur vie courante des nouvelles perspectives, l’envie d’être saint, la joie, la sympathie et la cordialité et tout cela grâce au bon exemple.

Je vous disais qu’il m’a tout rendu facile, dans la vie spirituelle, entendons-nous parce que, pour le reste, mon travail, ma vie sociale ou ma famille, l’Œuvre n’est intervenue en rien. Pour être précis, c’est l’esprit de l’Œuvre qui est intervenu en me poussant, à tout bout de champ et sous ma responsabilité personnelle, à choisir ce qui pouvait le plus plaire à Dieu. J’ai été défaillant très souvent, mais ça, c’est une autre paire de manches.

Tout ce que vous dites heurte les courants de pensée actuels…

Le monde est désorienté, il est vrai, mais il y a un retour possible. Je crois que la jeunesse à aujourd’hui une envie de vérité, de convivialité, de toutes ces approches dont le fondateur de l’Opus Dei parlait. Le monde ne tourne pas rond, la vie est dure, mais on ne peut pas dire que les gens se soient éloignés de Dieu puisque dès que vous avez le dos tourné ils vous montrent qu’ils ont une volonté spirituelle de devenir meilleurs.

C’est comme l’huile, qui se répand et inonde tout. Je ne suis pas du tout pessimiste, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le monde va de mal en pis. Le monde va aller de mieux en mieux, dans une révolution silencieuse dont on appréciera les conséquences au fil des temps.

Et vous, qu’avez-vous apporté à l’Opus Dei ?

Je lui apporte bien peu par rapport à ce qu’il me donne. Je tâche de prêter main forte aux œuvres apostoliques mais je n’ai pas d’efforts à faire parce que je sais qu’il y a beaucoup à faire. Il est bon que quelqu’un vous serre les vis et vous en demande davantage. À mon âge, avec la fatigue d’une vie derrière moi, je deviens jeune et j’aime croire que je suis encore utile, que je sers à quelque chose. Puis, tout bien réfléchi, je vois que je ne fais rien du tout. Cependant, le peu que je fais, si je le fais par amour de Dieu, devient très grand. Pour finir, je collabore à ma mesure, mais je pourrais encore faire mieux.

Le procès de béatification de mgr Escriva Balaguer est ouvert depuis 1981, avez-vous recours à son intercession, le priez-vous ?

Je me sers de la prière pour la dévotion privée qui est imprimée sur une image éditée par la Vice-postulation de sa cause de béatification. Actuellement, je lui confie quelque chose d’important et je suis sûr que je vais bientôt obtenir gain de cause. J’ai la joie de savoir que je compte là-haut sur quelqu’un qui peut intercéder pour les besoins humains et spirituels des hommes. Je ne l’encombre pas de mes affaires financières. Je lui demande plutôt des faveurs intérieures et lui demande de m’aider en cette fin de vie.

Je relis souvent les lettres qu’il m’a écrites. J’aime la courtoisie, j’ai l’habitude de souhaiter les anniversaires de mes amis. Il y a quelques années j’ai eu l’idée de lui écrire et, à ma surprise, il m’a tout de suite répondu. L’année suivante, j’ai hésité, pour ne pas l’obliger à me répondre, mais j’ai pensé qu’il allait croire que je l’avais oublié. Depuis, on s’est toujours écrit et j’ai eu des tonnes de conseils. Lorsqu’il est mort, j’ai continué d’écrire à son successeur, mgr Alvaro del Portillo. Dès que nous nous rencontrions, il me rappelait que j’étais son homonyme. Il m’envoie toujours un petit mot pour ma fête. J’en suis ravi. Je sais que je lui fais perdre son temps et je le regrette, mais ce merveilleux exemple me touche profondément.